La danse folklorique en Champagne

La danse est universelle. Même les animaux pratiquent des formes chorégraphiques , en particulier en saison des amours. Il semble donc vraisemblable que les premiers hommes aient fait de même. . Puis, en fonction de l'évolution sociale ces manifestations vont se structurer, se complexifier et se ritualiser selon une idéologie puis, avec le temps, se banaliser pour n'être plus que divertissement et ce cycle se refera lorsqu'une nouvelle pensée apparaîtra.
Dire que la danse fut d'abord rituelle et cultuelle avant de devenir laïque peut toutefois paraître excessif. Plusieurs théories ont été émises et semblent souvent contradictoires. Une signification cultuelle en rapport avec les rites de fécondation, de chasse ou de guerre a sans doute existé mais les apports, les mutations et les oublis dûs au temps lui ont fait perdre son sens au cours des âges.

En revanche, on peut définir ce que l'on entend par "danse folklorique". C'est la danse pratiquée par le peuple. C'est-à-dire, jusqu'au début du XXe siècle, presque essentiellement par le monde rural. La définition semble parfaite mais elle ne dit rien quant à l'origine de cette danse dite aussi "traditionnelle".

Le plus ancien recueil qui décrive des danses pratiquées dans notre région se trouve être l'Orchésographie du chanoine de Langres, Jehan Tabourot né à Dijon en 1519. Ce traité de danses a été publié en 1588 avec privilège du Roy par Jehan des Preyz. . On assure parfois qu'il s'agit d'un recueil de "danses de la France". Certes n'oublions pas que s'il note le Triory de Bretagne, le branle du Poitou et d'Escosse ou la pavane d'Espagne, il insiste pour bien préciser les façons de pratiquer les branles du Barrois, du Haut-Barrois, de Langres, de Montier-en-Der ou de Bourgogne. A l'évidence quatre siècles se sont écoulés et il serait absurde de penser que ces branles puissent se retrouver aujourd'hui à l'identique. On peut cependant trouver des "airs de famille" avec les rondes et branles que nous avons pu collecter en Champagne. Précisions aussi que les airs et les chants à danser qui les accompagnent, datent, au plus tôt, du milieu du XIXe siècle. Citons, pour mémoire, les branles simples ou coupés de Haute-Marne ou du Sud-Est de l'Aube, les branles "vieux" ou sautés, les rondeaux, rondes et même "Polka". Nous noterons à cet égard que les noms utilisés pour "personnaliser" les danses sont ceux recueillis auprès de nos locuteurs , même s'ils paraissent parfois inapropriés comme cette "Polka de Chigny-les-Roses". . On sait que les danses pratiquées dans les églises furent interdites au XIIe siècle par Odon, évêque de Paris. Il semble toutefois qu'elles aient été reprises à partir du XVIe siècle. Ceci pourrait expliquer que des chants d'accompagnement se révèlent être aussi des "Noëls".

Grâce au carnet manuscrit du violoneux Charbonnel de Lusigny-sur-Barse daté de 1855 dont nous disposons depuis 1958, nous avons pu recenser 32 contredanses, 15 airs de "valz" et une allemande. On peut supposer que certaines des partitions de contredanse furent écrites à la fin du XVIIIe siècle, car ce livret est contresigné par Léopoldine Charbonnel et l'un des airs est intitulé "l'Abbé de l'Epée ".

Concernant les danses qui nous semblent être anciennes , nous mentionnerons les chibrelis et les soyottes – qui sont de la même famille – et qui furent collectées en de très nombreux villages de la région. Encore que lorsque nous les qualifions "d'anciennes" nous pensons à une période située , au plus tôt, en début du XIXe siècle.

Pour ce qui intéresse les autres danses dites "de couples " telles que gigue, polka piquée, sicilienne, varsovienne, autrichienne, marguerite, mazurka, etc, nous avons qu'elles sont des variations locales de danses adoptées ou même crées dans les "salons parisiens" par des professeurs de danse comme Eugène Giraudet, Gawlikowski ou Gangloff qui éditèrent leur "Guide complet" ou "Traité de la danse" dans les années 1880. Giraudet précise dans son historique de la polka, par exemple, que celles-ci fut créée en Autriche en 1830 . , En 1 835 elle est signalée à Prague, en 1839 à Vienne et en 1840 un nommé Raab l'aurait exécutée au théâtre de l'Odéon à Paris. Il décrit également la polka piquée ou polka du talon en précisant qu'en son temps la danse et la musique sont délaissées dans la "bonne société". La Badoise que l'on prétend d'origine allemande, n'est rien d'autre que ce que les Champenois ont nommé "Accreballes" ou "Claquettes" selon les lieux. Quant à la danse dite ici "La Pioche" et connue, entre autres, aux Riceys, elle parait être proche parente de l'"Ostendaise" des salons parisiens…Evidemment toutes ces danses qui se propageaient "de bouche à oreille" étaient diffusées dans nos campagnes par l'intermédiaire des violoneux. Elles y subissaient des transformations soit parce que, localement, on dansait plus vivement, ou au contraire, plus lourdement – notamment à cause des sabots - soit simplement parce que la transmission de violoneux à violoneux manquait de rigueur ou comportait des oublis. C'est ainsi que de proche en proche se sont répandues nos danses dites folkloriques avec toutes leurs variantes locales.. Simplement pour l'exemple nous avons recueilli une trentaine de façon d'éxécuter une simple soyotte…

Sans doute issues des contredanses , nous avons collecté des danses villageoises communautaires qui, par leurs enchaînements, ne permettaient pas à un "étranger" d'y participer. C'est le cas pour la "Marche Napoléon" et l"Avant-deux " de Bragelogne, pour la "Grand danse" de St Benoît –sur-Vanne ou pour la "Gigue" baralbine. Si l'on se réfère à l'opinion des anciens , cet ostracisme leur paraissait nécessaire à la bonne tenue de la danse ( ?). En revanche, d'autres danses communautaires du XIXe siècle étaient accessibles à tous comme "La Boulangère " ," Le Carillon" ou la "Ronde de carnaval".

Nous n'avons recueilli qu'une danse réservée aux femmes "Les Anguilles" et trois destinées aux hommes "La Tambourinette", la "Valz d'homme" et les "Olivettes". Encore nous avait-on précisé qu'elles ne se faisaient plus qu'à l'occasion des mariages.

En règle générale ce sont les musiciens qui dirigeaient les bals et géraient l'ordre des danses. Ainsi il semble qu'il ait été fréquent qu'une soyotte ou un chibreli ouvre les festivités et s'exécutent même dans la rue pour "aller au bal" , tandis que l'on profitait du "cotillon" d'un quadrille pour annoncer la clôture.

Au début du XXe siècle la majorité des danses dites traditionnelles tombait dans l'oubli et ne se jouait plus que pour "les vieux". D'autre part , depuis la défaite de 1870, de nombreuses fanfares s'étaient formées dans l'esprit paramilitaire en de nombreux villages et les musiciens y avaient appris à lire les partitions. Il en est découlé une sorte de standardisation des répertoires et en cette fin XIXe la règle pour établit un programme se déroulait ainsi : en entrée, deux mazurka , puis deux polka suivies de deux valses et deux scottisch, ensuite , selon la demande, on exécutait une ou deux java et un ou deux one-step. Puis après une pause, on reprenait au début. La danse folklorique avait cédé la place au bal populaire.